Les aspergilloses pulmonaires chroniques (APC) représentent un ensemble de pathologies évoluant sur plusieurs mois et aboutissant à terme à une destruction lente du tissu pulmonaire. Elles sont causées par des champignons filamenteux microscopiques (appelés aussi moisissures) appartenant au genre Aspergillus. Ces derniers sont abondamment retrouvés dans l'environnement où ils participent entre autres à la décomposition des matières organiques (dans le compost par exemple). Plusieurs centaines d'espèces ont été décrites, mais seules quelques-unes ont véritablement été impliquées en pathologie humaine. Parmi celles-ci, l'espèce la plus fréquente et la plus virulente est Aspergillus fumigatus, suivie notamment par Aspergillus flavus ou Aspergillus niger selon l'origine géographique.
Les APC surviennent principalement chez des patients présentant des conditions favorisantes, telles que la présence d'une pathologie respiratoire chronique (broncho-pneumopathie sévère obstructive, emphysème, mucoviscidose...) ou la présence de cavités pulmonaires séquellaires, notamment post-tuberculeuses ou néoplasiques.
Bien que sous-diagnostiquées, les APC sont relativement fréquentes dans la population avec une estimation récente faisant état de 2 millions de nouveaux cas par an dans le monde.
Les Aspergillus sont omniprésents dans notre environnement. En effet, ils se multiplient en produisant des petites conidies très volatiles qui peuvent rester en suspension dans l'air et se disséminer dans de nombreux écosystèmes. Ces conidies très résistantes peuvent persister dans l'environnement à l'état dormant jusqu'à ce qu'elles rencontrent des conditions favorisant leur germination. On les retrouve donc dans l'air que nous respirons, extérieur (notamment proche de végétaux en décomposition) comme intérieur (dans la poussière notamment).
De ce fait, nous inhalons plusieurs centaines de conidies d'Aspergillus par jour. Chez l'individu en bonne santé, il existe des mécanismes de défense efficaces au niveau pulmonaire qui permettent d'éliminer ces conidies inhalées. En cas de pathologie pulmonaire chronique ou de cavité pulmonaire préformée, ces mécanismes de défense vont être altérés et les conidies inhalées vont pouvoir coloniser les poumons, germer et être responsables d'une APC.
Cycle biologique d'Aspergillus fumigatus
Les APC sont des maladies d'évolution progressive, dont les symptômes persistent généralement au-delà de 3 mois. Les signes cliniques comprennent parmi les plus fréquents, une toux productive, une dyspnée et des hémoptysies de plus ou moins grande abondance.
Cependant ces symptômes et leur intensité peuvent varier selon le stade et la forme clinique d'APC. En effet, 5 entités cliniques différentes ont été définies par des groupes d'experts internationaux, comprenant l'aspergillome simple, le nodule aspergillaire, l'aspergillose pulmonaire chronique cavitaire (APCC), l'aspergillose pulmonaire chronique fibrosante (APCF) et l'aspergillose pulmonaire chronique nécrosante (APCN).
Par ailleurs, ces symptômes sont non spécifiques d'une APC et peuvent être difficilement différentiables de ceux de la pathologie pulmonaire sous-jacente. La recherche de signes biologiques et radiologiques chez les patients présentant des facteurs de risque est donc essentielle pour le diagnostic et la prise en charge des APC.
Le diagnostic des APC est difficile et repose sur une combinaison de critères cliniques, d'imagerie et mycologiques. Il doit être envisagé chez tous les patients présentant des facteurs favorisants et/ou des signes cliniques évocateurs.
L'imagerie pulmonaire, notamment par scanographie, est essentielle et permettra de mettre en évidence les lésions évocatrices d'APC, telles que la présence d'une ou plusieurs cavités pulmonaires contenant ou non des "truffes" fongiques, un épaississement pleural ou des nodules, ainsi que de classifier l'entité pathologique.
Au niveau mycologique, le diagnostic repose sur l'examen mycologique d'un prélèvement respiratoire et sur la recherche d'anticorps spécifiques dirigés contre Aspergillus dans le sérum :
- L'examen mycologique permet de mettre en évidence la colonisation pulmonaire par Aspergillus. Il comprend un examen microscopique du prélèvement (avec ou sans coloration) à la recherche de filaments mycéliens (ou hyphes) caractéristiques d'Aspergillus (filaments fins, septés, à bord parallèles et ramifiés à 45°). Il comprend également une mise en culture du prélèvement pour mettre en évidence, identifier et tester la sensibilité aux antifongiques du champignon.
Aspect macroscopique de colonies d'A. fumigatus, d'A. flavus et d'A. niger isolées en culture mycologique
D'autres examens mycologiques peuvent aussi être effectués sur les prélèvements respiratoires pour rechercher le champignon, dont la recherche d'ADN d'Aspergillus par PCR ou la recherche d'antigène galactomannane, un composant spécifique de la paroi du champignon.
- Le diagnostic sérologique permet quant à lui de mettre en évidence une réponse immunologique de l'organisme vis à vis d'Aspergillus, reflet le plus souvent d'une colonisation chronique. Il repose sur la recherche d'IgG spécifiques anti-Aspergillus généralement par deux techniques différentes : une de dépistage et une de confirmation. Un dosage itératif des anticorps, semestriel ou annuel, peut également être intéressant dans le suivi de la pathologie.
Du fait de son omniprésence dans l'environnement, l'élimination complète de l'exposition pulmonaire aux conidies d'Aspergillus est pratiquement impossible.
Cependant, chez les personnes à risque d'APC, il est possible de réduire l'intensité de l'exposition en évitant les lieux potentiellement riches en conidies tels que les greniers, les caves, les zones avec des végétaux en décomposition (compost, feuilles mortes...), les zones de travaux ou les fermes. Le port d'un masque de protection respiratoire est fortement recommandé si ces zones ne peuvent être évitées.
De plus certaines activités, telles que les travaux agricoles, le jardinage, le bricolage avec production de poussières sont considérées comme à haut risque d'exposition aux conidies d'Aspergillus et doivent être limitées autant que possible ou effectuées en portant également un masque de protection.
Enfin, l'entretien intérieur du domicile est primordial pour limiter l'exposition, comprenant entre autres un dépoussiérage régulier des meubles et surfaces, une élimination des tapis pouvant regorger de conidies et un nettoyage en profondeur (voire rénovation) des zones présentant des traces de moisissures visibles.